Marc Mouthon : Une vie au service de la mobilité gaz et de sa sécurité

Marc Mouthon : Une vie au service de la mobilité gaz et de sa sécurité
A 65 ans, le formateur reconnu pour ses travaux au sujet de la sécurité des gaz communique toujours avec beaucoup de force ses convictions. N’ayant pas l’habitude de mâcher ses mots s’il y a danger, il a fait évoluer de façon importante en France la mobilité au GPL et au GNV.
 

Ancien installateur de systèmes GPL

Bon pied, bon œil, Marc Mouthon est avant tout un homme de terrain. Ses certitudes, il les doit à sa curiosité, à sa pugnacité et à la longévité de sa carrière. Découvrant en 1973 la vie active dans l’univers de la mécanique automobile, il est passé d’apprenti à ouvrier, puis à artisan. C’est ainsi qu’il crée en 1986 un garage à Albertville (73) où il doit se constituer une clientèle.
 
Il s’impose rapidement comme installateur de systèmes GPL, en bicarburation avec l’essence : « Je transformais en particulier des Saab. J’avais alors 2 types de clientèle pour la conversion : ceux qui voulaient rouler à l’économie et un peu plus propre pour se donner bonne conscience, et ceux qui le faisaient par conviction véritable, parfois même sur de petites voitures comme des Citroën AX ».

A 65 ans, Marc Mouthon est un formateur reconnu pour ses travaux au sujet de la sécurité des gaz

Un savoir-faire reconnu

Le sérieux de Marc Mouthon a vite été remarqué. Notamment par Primagaz qui l’a sollicité pour montrer au personnel comment bien entretenir des engins de manutention au gaz : « C’était à Lyon, sur du matériel Toyota, Fenwick, Manitou et Caterpilar. En France, 85 % des chariots thermiques aujourd’hui fonctionnent au gaz avec les fameuses bouteilles C13. Ceux qui restent sont des diesel qui opèrent en extérieur, sur des chantiers par exemple ».
 
Ces interventions qu’il effectue alors par esprit de service permettent de développer localement l’usage de ces engins de logistique. Ce qui se remarque. La confiance qu’il insuffle dans les milieux professionnels se répand progressivement dans toute la France. Au point que son action a été comme une étincelle enflammant tout un écosystème qui perdure aujourd’hui.
 
« En 1993, je suis passé vraiment à la formation un peu par hasard, d’abord comme vacataire puis en libéral », Se souvient Marc Mouthon. C’était juste avant que la formation dans le secteur automobile se réunisse sous la bannière du GNFA. Un expert en gaz pour la mobilité était déjà recherché.
 

Soupape de sécurité

« En 1994, le réservoir GPL d’une 4L de facteur éclate à Roanne (Loire ndlr). La Poste a alors demandé des comptes à Renault. Une simple soupape permettant de libérer le gaz en surpression aurait évité cette explosion. Entre 1994 et 1997, le constructeur a galéré pour faire imposer cet élément de sécurité », rappelle Marc Mouthon. « Je suis alors monté au ministère. Pour bien faire comprendre l’urgence à installer une soupape de sécurité, j’ai comparé : ‘C’est comme l’histoire du sang contaminé, ça peut vous exploser à la figure à n’importe quel moment !’. En mai 1997, j’ai participé à la rédaction du texte qui s’est traduit par l’arrêté du 20 juin 1997. Toutefois la soupape n’était présentée qu’en option », détaille-t-il. Un article de L’Argus en 2000 indique même que cet équipement est alors passé du stade « Interdit » à « Toléré ».
 

L’accident de trop

« Et puis il y a eu l’accident de Vénissieux en 1999, où un pompier a perdu une jambe en intervenant sur une Renault 19 bicarburation en flamme. Le magazine Auto Plus s’est emparé du problème. J’ai mené des essais à Valbonne. Ces actions ont été payantes, puisque ça a débouché sur la rédaction du règlement européen R67 imposant la soupape », souligne Marc Mouthon.
 
En France, un nouvel arrêté a été publié en 2000. Je suis donc en train de donner la parole à celui qui, au début de ce siècle, a permis, avec d’autres, de sécuriser ma propre voiture. A l’époque, des professionnels estimaient entre 20 000 et 40 000 le nombre de véhicules transformés au GPL et non déclarés en préfecture.
 
C’était le cas de la Citroën DS 23 IE de 1973 bicarburation que j’avais achetée ainsi 1 an plus tôt et pour laquelle je commençais à m’inquiéter sérieusement en cas d’accident. Le gouvernement a alors mené une vaste campagne pour fiabiliser ces véhicules et reconnaître leur conversion, en aidant financièrement la mise à niveau nécessaire, dont l’ajout de la fameuse soupape de sécurité.
 

Formation des pompiers

Marc Mouthon est aussi sapeur-pompier volontaire expert, attaché au SDIS 44. Mais c’est à Rennes (35) qu’il a commencé la formation auprès des hommes du feu en 1999. Il a rapidement repéré dans ses stagiaires un jeune lieutenant, vite devenu moteur sur la sécurité des véhicules au gaz. Il s’agit du colonel Delaunay, dont on trouve encore sur le Web les traces de son action en faveur des exercices pratiques. A Poitiers, notre interlocuteur travaille aussi auprès du colonel Gentilleau pour former les pompiers à intervenir sur les véhicules à énergies alternatives (VEA).
 
« J’ai animé des stages dans ce cadre pour plus de 70 départements. Lors de la dernière journée technique, en 2018, j’ai fait brûler un camion GNL. Je travaille aussi sur l’hydrogène », partage-t-il. « En tout, pour la formation et les expérimentations, j’ai incendié volontairement plus de 1 000 véhicules, dont des beaux modèles, comme une DS 3 neuve avec jantes alliage et intérieur cuir. J’ai appris à intervenir sur des composants dégradés ou en fin de vie. Ainsi sur une bouteille datant de 1899 », complète notre interlocuteur.

 

Destruction de bouteilles

Seriez-vous capable de tronçonner une bouteille de gaz pleine à la disqueuse ? Non !? Lui, oui ! « Il faut avant tout identifier le produit. Ce qui permet ensuite de savoir ce que l’on peut faire et ne pas faire. Comme pompier volontaire, je n’interviens pas sur le terrain, mais j’ai déjà conseillé par téléphone ceux qui ont été confrontés à des situations entrant dans mes compétences. Par exemple quand, lors d’une intervention, on découvre une bouteille d’acétylène dans les flammes », explique Marc Mouthon.
 
Ce dernier a détruit des milliers de bouteilles de gaz sur les chantiers : « Elles étaient déjà plusieurs centaines sur le seul site Derichebourg, à Saint-Pierre-de-Chandieu. C’était très physique de les détruire. Pour le GPL, on récupère ou on brûle le gaz. Quand c’est de l’ammoniac, toxique pour l’être humain mais très présent dans l’atmosphère, on fait péter au déminage ».
 
« On n’écrit pas une réglementation pour emmerder les gens »
 
« En 1989, EDF-GDF a démarré sa flotte au gaz naturel, à Nantes, avec 30 Citroën AX. On a mis 10 ans pour développer le GNV. J’ai commencé la formation pour ce carburant en 1999, chez PSA, avec Gérard Colling que j’accompagne encore aujourd’hui dans un tout nouveau module de découverte de l’hydrogène chez Energy Formation », expose Marc Mouthon.
 
« On n’écrit pas une réglementation pour emmerder les gens, mais parce qu’un produit marche de telle manière et qu’il faut sécuriser son utilisation. Parfois on y trouve des aberrations qui perdurent pendant des années », se désole-t-il. « La R110 pour le GNV par exemple, est un copier/coller de la R67 pour le GPL, avec des arrangements. Certains points n’ont pas de sens. On indique à un endroit que la pression maximale de remplissage est de 260 bars quelles que soient les conditions de température. Et la ligne d’après on définit la pression à 200 bars sous 15° C », soulève-t-il. « Pour son autocar Interlink, Scania a intelligemment conçu son manomètre en conséquence, avec une zone orange entre 200 et 260 bars, puis rouge au-dessus pour indiquer la surpression », apprécie-t-il.
 

Un copier/coller qui pose problème

« Avec la R110, on a voulu faire plaisir à Angela Merkel, et en France à la Dreal qui s’appuie encore sur un texte de juillet 1943 pondu sous le gouvernement de Vichy. Notre pays devrait passer comme en Allemagne à 260 bars. Quand je fais le plein de mon Mercedes Sprinter outre-Rhin, je peux parcourir 60 km de plus qu’en remplissant les réservoirs en France », milite Marc Mouthon.
 
Si aujourd’hui les bus au gaz chinois peinent à pénétrer dans l’Hexagone, c’est en grande partie grâce à lui. Sous ses conseils, avertissements et préconisations, les collectivités et opérateurs des transports en commun sont devenus exigeants concernant la sécurité.
 
« Je suis un mouton noir parfois », n’hésite-t-il pas à lancer avec autant d’autodérision que de sérieux. « J’ai demandé une double sécurité sur les réservoirs. On m’a parfois répondu qu’en Italie, sans ces équipements, il n’y a jamais d’explosion. Bien sûr, car ils n’avaient pas de limiteur de débit et qu’en cas de surpression leurs tuyaux en cuivre pétaient. Mais en France on veut des tuyaux résistants en inox. Et là, dans les mêmes conditions, ça peut poser problème », oppose-t-il.
 

Chercher les failles

« Une de mes activités consiste à chercher les failles et à les signaler pour les faire disparaître. Les bus au GPL venaient d’être mis en service à Paris quand j’ai ainsi questionné un escadron de parachutistes de l’EPIGN [NDLR : Escadron parachutiste d’intervention de la gendarmerie nationale] : ‘Qu’est-ce qu’une personne mal intentionnée et avec peu de moyens peut faire avec nos produits ?’ », raconte Marc Mouthon. Pour gommer les risques, des essais à balles réelles sont effectués pour s’assurer de la résistance des réservoirs.
 
« En matière de GNV, la réglementation reste trop permissive. Des systèmes sont homologués alors qu’ils peuvent être potentiellement dangereux. Par exemple, lorsque plusieurs bouteilles sont installées sur un véhicule, un seul capteur de pression est imposé. Il ne verra pas par exemple que la dernière bouteille ne se vide pas. Elle continuera à se remplir en hiver, se retrouvant dans une dangereuse surpression l’été », prévient-il. « Il faudrait que la pression soit contrôlée dans toutes les bouteilles, ainsi que le bon fonctionnement des dispositifs de coupure. La réglementation ne va pas assez loin », insiste notre interlocuteur qui a été décoré de la médaille d’or de la sécurité intérieure.
 

Quand les constructeurs vont plus loin que la réglementation

« Heureusement que des constructeurs vont plus loin que la réglementation. Scania, par exemple, vérifie le bon fonctionnement de ces dispositifs de coupure. Il est le seul à le faire sur les poids lourds à chaque démarrage. C’est automatique », distingue Marc Mouthon.
 
« Chez Iveco Bus, c’est pas mal aussi. La surpression est traquée sur chaque bouteille. Et tous les 15 remplissages, également en automatique, tous les dispositifs de coupure sont contrôlés », cite-t-il également. « La sous-pression devrait également être signalée, car elle peut être révélatrice d’une fuite. En cas de dysfonctionnement du système GNV, il faudrait imposer un passage dans un mode dégradé. Comme avec un manque d’Adblue sur un moteur diesel », soumet-il.
 

Au moins 2 sécurités

« Si on chauffe une bouteille de GNV par le cul, le seul fusible ou Glass-Bulb à l’autre bout ne va pas forcément se déclencher. L’acier va encaisser dans un premier temps l’augmentation de surpression, avant l’éclatement du réservoir. C’est exactement ce qui s’est passé sur une benne à ordures le 14 juillet 2014, à la suite du blocage des freins qui a provoqué l’embrasement d’un pneu », rapporte Marc Mouthon.
 
« Avec un seul fusible, le sens du vent peut empêcher ou faciliter la libération du gaz. Un mistral qui cantonne par exemple les flammes loin du fusible, et c’est l’explosion assurée. Mon rapport demandant une sécurité redondante, par exemple avec un disque de rupture, a été envoyé à tous les constructeurs. Depuis, il n’y a plus eu d’explosion en France. Les camions qui sont livrés ont tous sur leurs réservoirs un fusible qui fond à 110° C ou un Glass-Bulb et un disque de rupture qui éclate vers 340 bars », conclut-il.

 
 
Gaz Mobilité et moi-même remercions beaucoup Marc Mouthon pour sa disponibilité, le temps pris pour répondre à nos questions, et son engagement pour développer et fiabiliser la mobilité au gaz.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Philippe SCHWOERER Philippe SCHWOERER
Journaliste
Très tôt sensibilisé aux économies d'énergie, Philippe défend une mobilité durable plurielle à travers ses articles publiés dans plusieurs médias en ligne.

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2 Commentaires

  1. AlberiPublié le 17/11/2022 à 10:42

    Merci pour cet article et cette interview intéressante, à la fois pour le parcours de M. Mouthon, mais aussi pour son avis sur la situation actuelle du GNV.
    On devrait entendre plus souvent ces analyses. La sécurité du GNV est un enjeu important pour la sécurité de tous, mais aussi pour la crédibilité de la filière.
    Je note également que la pression des stations pourrait être plus élevée à 260 bars, cela mériterait d’être entendu, on y serait tous gagnant.
    Dans cet article, le sujet sécurité est surtout développé pour les camions et les bus (évidemment les principaux utilisateurs du GNV). Mais pourrait-on avoir un article complémentaire avec l’avis et l’analyse de M. Mouthonn sur la sécurité concernant les voitures de tourisme ou les voitures utilitaires ?

  2. Benjamin BeauPublié le 22/11/2022 à 12:52

    Bonjour et surtout merci pour cet excellent article.
    Je fais partie d’un groupe de travail avec l’AFGNV et surtout GRDF sur le sujet de l’autonomie des véhicules GNC. Monsieur Mouthon semble être une bible sur ce sujet, ce serait un véritable plaisir d’échanger avec lui.
    J’en profite pour vous dire que la note id100biognc que je porte avance bien, elle consiste à demander au gouvernement la décorrélation du prix du 100% biognc français du prix du gaz fossile. Nous avons été reçu au ministère de la transition énergétique et avançons avec eux sur le sujet.
    Belle journée à tous
    Benjamin Beau

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