France Mobilité Biogaz : « Il y a une complémentarité entre la molécule et l'électron »
Nouvelle dénomination, règlement CO2 des véhicules lourds, introduction de la Tiruert pour le bioGNV… Avec Erwan Cotard, Président de France Mobilité Biogaz (ex AFGNV), Gaz-Mobilité revient sur l’année écoulée et dresse un état des lieux des perspectives et des enjeux de la filière.
Fin 2023, l’AFGNV est devenue France Mobilité Biogaz. Pourquoi ce changement de nom ?
Erwan Cotard : Nous avons souhaité tenir compte des évolutions du marché et des demandes à la fois des utilisateurs, c'est-à-dire à dire des transporteurs logisticiens, et des chargeurs qui sont désormais majoritairement orientés vers le bioGNV.
Cela traduit aussi les ambitions de la filière qui vise à passer au 100 % de gaz vert dans le transport. On visait au départ 2033 et on pense désormais qu'on y sera en 2030, car il y a une vraie accélération. Plusieurs opérateurs ont annoncé qu'ils allaient passer en 100 % bio dans les années qui viennent.
L'idée était donc de refléter cette dynamique autour du biogaz mais aussi de simplifier la compréhension de l'objet de l'association lors de la communication avec l'administration et les pouvoirs publics. Il y avait aussi une volonté de mise en cohérence de l'écosystème gaz au sens large. Il y avait déjà France Gaz renouvelable, France Gaz (ex AFG) tout court où nous avons des participations croisées.
Après une année 2022 marquée par la hausse des prix du gaz, quel bilan tirez-vous de l’année 2023 ?
EC : L'année 2023 s’est terminée par l’ouverture de la Tiruert au niveau du gaz. C’est un signal très positif qui était attendu depuis longtemps.
Du côté des aspects moins positif, il y a ces débats au niveau européen où on sent que la filière bioGNV n'a toujours pas été prise en compte. Nous sommes un peu victimes d'une équation simpliste qui voudrait que l'on bascule tout en électrique. Nous pensons qu’il y a une vraie complémentarité à trouver entre la molécule et l'électron.
La Tiruert a été inscrite dans le dans le projet de loi de finances 2024. Sa mise en application aura lieu en 2025 ?
EC : Il s'agira en réalité d'une version à blanc en 2025. La taxe ne sera effective qu’en 2026. Cela prend un petit peu plus de temps qu'on l'aurait souhaité mais ce n'est pas choquant, car il faut que les choses se mettent en place intelligemment. Mais ce qui restait très important pour nous, c'était vraiment d'avoir ce signal dans le PLF dès cette année.
Concrètement, cette Tiruert devrait permettre d’obtenir un carburant moins cher. A-t-on idée des gains attendus ?
EC : C’est justement tout l'enjeu des discussions avec l'administration cette année. Maintenant que le principe est acté par le projet de loi de finances, il va falloir définir comment mettre cela en musique. C'est la grosse priorité de notre programme de travail sur 2024.
Sans avoir à attendre la mise en place de la Tiruert, on voit également le prix du gaz baisser à la pompe. Après une période difficile, c’est plutôt une bonne nouvelle ?
EC : 2022 a été un épisode très compliqué avec l'explosion du prix du gaz qui a fait du mal à la filière. Nous sommes désormais en train de revenir à des niveaux pré-crise. C’est très positif et facilite d'autant plus le petit effort, accepté quasiment par tous maintenant, du surcoût des garanties d'origines pour faire en sorte que ça soit du biogaz qui soit au bilan et pas du gaz naturel (fossile, ndlr).
Au niveau des immatriculations, on conserve une progression. Le segment qui se développe le plus est celui des poids lourds. C'est devenu le segment qui tire la filière puisqu'il doit être à 22 % d'augmentation dans les immatriculations. A fin 2023, on serait arrivé à plus de 36 000 véhicules au total dans le parc fonctionnant au GNV.
Justement, cette dynamique est également portée par des constructeurs de poids lourds qui continuent de croire au gaz. Et ça, c’est indispensable ?
EC : Complètement. Comme je l'expliquais, c'est un écosystème qui continue à se développer. Parce qu'on a des agriculteurs qui méthanisent, parce qu'on a des constructeurs qui continuent à proposer de nouveaux modèles - très souvent construits en Europe d’ailleurs — et parce qu'on a des énergéticiens qui continuent à développer les réseaux de stations.
C'est vraiment une logique d'écosystème qui, malgré la tempête, a bien tenu et continue même à se développer. Sur les points de l'avitaillement, on doit être sur une progression de 16 % par rapport à 2022. Il y a finalement une certaine résilience par rapport aux difficultés de 2022.
Nous en parlions en début d’interview, le futur règlement CO2 des véhicules lourds n’est pas vraiment favorable au biogaz. Il y a beaucoup de lobby pour passer à l’électrique et à l’hydrogène. Face à ces évolutions importantes, comment réagissent les transporteurs ?
EC : Il est difficile de parler à leur place. Mais dans les échanges que l’on a avec eux, on sent beaucoup d'incertitude sur où et comment investir. La chose qui est à peu près claire pour tous, c'est que c'est beaucoup plus compliqué qu'auparavant.
En matière de carburants alternatifs, il n’est pas simple de définir une stratégie. Pour l'instant, hydrogène semble un peu moins mature que ce qui était prévu, mais il y a des expérimentations en cours. Sur l'électrique, les développements sont certainement plus rapides que ce qui avait été envisagé, notamment parce qu'il y a cette pression assez forte au niveau réglementaire. Il y a d'autres alternatives aussi sur les biocarburants liquides. Le biogaz reste également dans la course comme solution de transition pragmatique qui a un TCO très intéressant, y compris par rapport au gazole, et qui est mature dès aujourd'hui.
Pour le biogaz, la difficulté se situe davantage sur le long terme avec ce projet de règlement CO2 qui n’est toujours pas adopté. Il y a beaucoup d'incertitude et il y a une pression beaucoup plus forte sur l'électrique. A long terme, les signaux ne sont, pour l'instant, pas forcément positifs.
Ce qu'il ne faudrait surtout pas, c'est que, par manque de visibilité, par des coûts trop élevés, on se retrouve avec une situation inverse où tout le monde pousse les parcs existants ou achètent des diesel au maximum, que ce soit des bus ou des camions, avant les échéances... Ce serait le plus contreproductif.
Certains transporteurs estiment que le bioGNV ne sera qu’une énergie de transition vers d’autres technologies, notamment l’électrique et l’hydrogène. Est-ce que cette vision est réaliste ?
EC : Quand on discute avec certains grands logisticiens, avec des transporteurs, on peut effectivement avoir cette approche d'énergie de transition, mais cela reste un minima ! Je ne suis pas sûr qu’il soit très réaliste de passer tout en électrique comme cela est envisagé au niveau européen. Le bioGNV sera peut-être une énergie de transition, mais sans doute pour longtemps parce qu’il a déjà un impact immédiat sur la décarbonation du transport.
Je pense que plusieurs énergies vont cohabiter pendant encore de longues années. Cela rajoute une certaine complexité, mais c'est un peu le sens de l'histoire d'avoir un mix énergétique en fonction des cas usages. Quand on voit que 98 % du parc sur les poids lourds est encore diesel, on se dit qu'il y a quand même de la place pour tout le monde, que ce soit les carburants gazeux, liquides, l'électrique, voire l'hydrogène à terme.
Fin 2023, l’AFGNV est devenue France Mobilité Biogaz. Pourquoi ce changement de nom ?
Erwan Cotard : Nous avons souhaité tenir compte des évolutions du marché et des demandes à la fois des utilisateurs, c'est-à-dire à dire des transporteurs logisticiens, et des chargeurs qui sont désormais majoritairement orientés vers le bioGNV.
Cela traduit aussi les ambitions de la filière qui vise à passer au 100 % de gaz vert dans le transport. On visait au départ 2033 et on pense désormais qu'on y sera en 2030, car il y a une vraie accélération. Plusieurs opérateurs ont annoncé qu'ils allaient passer en 100 % bio dans les années qui viennent.
L'idée était donc de refléter cette dynamique autour du biogaz mais aussi de simplifier la compréhension de l'objet de l'association lors de la communication avec l'administration et les pouvoirs publics. Il y avait aussi une volonté de mise en cohérence de l'écosystème gaz au sens large. Il y avait déjà France Gaz renouvelable, France Gaz (ex AFG) tout court où nous avons des participations croisées.
Après une année 2022 marquée par la hausse des prix du gaz, quel bilan tirez-vous de l’année 2023 ?
EC : L'année 2023 s’est terminée par l’ouverture de la Tiruert au niveau du gaz. C’est un signal très positif qui était attendu depuis longtemps.
Du côté des aspects moins positif, il y a ces débats au niveau européen où on sent que la filière bioGNV n'a toujours pas été prise en compte. Nous sommes un peu victimes d'une équation simpliste qui voudrait que l'on bascule tout en électrique. Nous pensons qu’il y a une vraie complémentarité à trouver entre la molécule et l'électron.
La Tiruert a été inscrite dans le dans le projet de loi de finances 2024. Sa mise en application aura lieu en 2025 ?
EC : Il s'agira en réalité d'une version à blanc en 2025. La taxe ne sera effective qu’en 2026. Cela prend un petit peu plus de temps qu'on l'aurait souhaité mais ce n'est pas choquant, car il faut que les choses se mettent en place intelligemment. Mais ce qui restait très important pour nous, c'était vraiment d'avoir ce signal dans le PLF dès cette année.
Concrètement, cette Tiruert devrait permettre d’obtenir un carburant moins cher. A-t-on idée des gains attendus ?
EC : C’est justement tout l'enjeu des discussions avec l'administration cette année. Maintenant que le principe est acté par le projet de loi de finances, il va falloir définir comment mettre cela en musique. C'est la grosse priorité de notre programme de travail sur 2024.
Sans avoir à attendre la mise en place de la Tiruert, on voit également le prix du gaz baisser à la pompe. Après une période difficile, c’est plutôt une bonne nouvelle ?
EC : 2022 a été un épisode très compliqué avec l'explosion du prix du gaz qui a fait du mal à la filière. Nous sommes désormais en train de revenir à des niveaux pré-crise. C’est très positif et facilite d'autant plus le petit effort, accepté quasiment par tous maintenant, du surcoût des garanties d'origines pour faire en sorte que ça soit du biogaz qui soit au bilan et pas du gaz naturel (fossile, ndlr).
Au niveau des immatriculations, on conserve une progression. Le segment qui se développe le plus est celui des poids lourds. C'est devenu le segment qui tire la filière puisqu'il doit être à 22 % d'augmentation dans les immatriculations. A fin 2023, on serait arrivé à plus de 36 000 véhicules au total dans le parc fonctionnant au GNV.
Justement, cette dynamique est également portée par des constructeurs de poids lourds qui continuent de croire au gaz. Et ça, c’est indispensable ?
EC : Complètement. Comme je l'expliquais, c'est un écosystème qui continue à se développer. Parce qu'on a des agriculteurs qui méthanisent, parce qu'on a des constructeurs qui continuent à proposer de nouveaux modèles - très souvent construits en Europe d’ailleurs — et parce qu'on a des énergéticiens qui continuent à développer les réseaux de stations.
C'est vraiment une logique d'écosystème qui, malgré la tempête, a bien tenu et continue même à se développer. Sur les points de l'avitaillement, on doit être sur une progression de 16 % par rapport à 2022. Il y a finalement une certaine résilience par rapport aux difficultés de 2022.
Nous en parlions en début d’interview, le futur règlement CO2 des véhicules lourds n’est pas vraiment favorable au biogaz. Il y a beaucoup de lobby pour passer à l’électrique et à l’hydrogène. Face à ces évolutions importantes, comment réagissent les transporteurs ?
EC : Il est difficile de parler à leur place. Mais dans les échanges que l’on a avec eux, on sent beaucoup d'incertitude sur où et comment investir. La chose qui est à peu près claire pour tous, c'est que c'est beaucoup plus compliqué qu'auparavant.
En matière de carburants alternatifs, il n’est pas simple de définir une stratégie. Pour l'instant, hydrogène semble un peu moins mature que ce qui était prévu, mais il y a des expérimentations en cours. Sur l'électrique, les développements sont certainement plus rapides que ce qui avait été envisagé, notamment parce qu'il y a cette pression assez forte au niveau réglementaire. Il y a d'autres alternatives aussi sur les biocarburants liquides. Le biogaz reste également dans la course comme solution de transition pragmatique qui a un TCO très intéressant, y compris par rapport au gazole, et qui est mature dès aujourd'hui.
Pour le biogaz, la difficulté se situe davantage sur le long terme avec ce projet de règlement CO2 qui n’est toujours pas adopté. Il y a beaucoup d'incertitude et il y a une pression beaucoup plus forte sur l'électrique. A long terme, les signaux ne sont, pour l'instant, pas forcément positifs.
Ce qu'il ne faudrait surtout pas, c'est que, par manque de visibilité, par des coûts trop élevés, on se retrouve avec une situation inverse où tout le monde pousse les parcs existants ou achètent des diesel au maximum, que ce soit des bus ou des camions, avant les échéances... Ce serait le plus contreproductif.
Certains transporteurs estiment que le bioGNV ne sera qu’une énergie de transition vers d’autres technologies, notamment l’électrique et l’hydrogène. Est-ce que cette vision est réaliste ?
EC : Quand on discute avec certains grands logisticiens, avec des transporteurs, on peut effectivement avoir cette approche d'énergie de transition, mais cela reste un minima ! Je ne suis pas sûr qu’il soit très réaliste de passer tout en électrique comme cela est envisagé au niveau européen. Le bioGNV sera peut-être une énergie de transition, mais sans doute pour longtemps parce qu’il a déjà un impact immédiat sur la décarbonation du transport.
Je pense que plusieurs énergies vont cohabiter pendant encore de longues années. Cela rajoute une certaine complexité, mais c'est un peu le sens de l'histoire d'avoir un mix énergétique en fonction des cas usages. Quand on voit que 98 % du parc sur les poids lourds est encore diesel, on se dit qu'il y a quand même de la place pour tout le monde, que ce soit les carburants gazeux, liquides, l'électrique, voire l'hydrogène à terme.
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Interview très intéressante réalisé par Mickaël Torregrossa.
Mes réactions sur certains éléments :
-" France Mobilité Biogaz (ex AFGNV)"
Je pense qu’un nom comme "France Mobilité BioGNV" aurait été plus adapté, car plus en continuité avec le nom précédent AFGNV, plus réaliste, car les véhicules ne fonctionnent pas au biogaz, mais au biogaz épuré, c’est-à-dire au biométhane, c’est-à-dire au bioGNV.
-"au niveau européen (...) nous sommes un peu victimes d’une équation simpliste qui voudrait que l’on bascule tout en électrique."
L’Europe ne sort pas de cette position dogmatique du "zéro émission" au niveau du pot d’échappement. C’est une position irrationnelle, car l’enjeu climatique se situe au niveau des gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle de vie du véhicule et donc non seulement à la sortie du pot d’échappement. Comment leur faire comprendre ? Les élections européennes ?
- "Nous pensons qu’il y a une vraie complémentarité à trouver entre la molécule et l’électron."
Non il n’y a pas de complémentarité entre bioGNV et électricité, ce sont 2 énergies mobilité distinctes. Le bioGNV a besoin d’électricité pour être produit, mais ensuite ce sont 2 énergies assez proches en terme de gaz à effet de serre du point de vue ACL (Analyse de Cycle de Vie) lors de leur usage en mobilité légère, avec un avantage au bioGNV. Ensuite les choix politiques ont dévolu l’électrique à la mobilité légère et le bioGNV à la mobilité lourde, mais c’est une complémentarité construite politiquement, mais qui n’a rien à voir avec une complémentarité physique des énergies.
- "l’explosion du prix du gaz (...). Nous sommes désormais en train de revenir à des niveaux pré-crise."
Disons qu’on revient vers les prix pré-crise en cotation sur le marché PEG ou TTF, mais ce n’est pas le cas dans les stations GNV, où le prix y demeure 30cts€ plus haut que les prix pré-crise....
- "c’est un écosystème qui continue à se développer. Parce qu’on a des agriculteurs qui méthanisent, parce qu’on a des constructeurs qui continuent à proposer de nouveaux modèles - très souvent construits en Europe d’ailleurs — et parce qu’on a des énergéticiens qui continuent à développer les réseaux de stations."
Sauf que la mobilité légère n’entre pas dans cette synergie. Et le Président de France Mobilité Biogaz ne s’en émeut pas...
-"hydrogène (...) l’électrique, (...) Le biogaz reste également dans la course comme solution de transition pragmatique "
Ce discours prépare la défaite en rase campagne du bioGNV (et non du biogaz, cf au-dessus), il faut militer pour une prise en compte du critère rationnel de l’Analyse en Cycle de Vie, pour montrer que le bioGNV est une solution, non seulement transitoire, mais durable, et préférable à l’électrique et l’irréaliste hydrogène....
-"Je pense que plusieurs énergies vont cohabiter pendant encore de longues années. "
Je pense qu’il a raison, mais non seulement au niveau de la mobilité lourde, mais aussi de la mobilité légère, et l’ex-AFGNV pourrait en faire un petit peu pour défendre le bioGNV au niveau de cette mobilité légère.